La CGSP ER a lancé un appel à témoignage auprès de la communauté universitaire (académiques et scientifiques) de l’ULB pour connaître les réalités et difficultés des travailleurs/euses durant cette période de confinement. Ces témoignages de chercheur·e·s, professeur·e·s et assistant·e·s sont présentés ci-dessous. L’analyse rapide de ce corpus dresse quelques constats importants, dont une dégradation des conditions de travail et une incapacité à poursuivre de façon normale l’enseignement et la recherche.

1. Les tâches de soins (principalement s’occuper des enfants, mais aussi faire les courses etc.) empêchent un nombre important de travailleurs/euses de maintenir un même nombre d’heures de travail qu’avant le confinement.

Morceaux choisis : “Après une semaine, je constate que je n’ai pu travailler que 2h par jour en étant vraiment concentrée (pendant la sieste de ma fille)”; “il est impossible de poursuivre notre mission à temps plein à distance quand on a des enfants en bas âge, donc en H24 à la maison” ; “Je suis seule à la maison avec ma fille de 10 mois. Il m’est pratiquement impossible de travailler plus d’une heure par jour, et même cela est optimiste certains jours car je dois prioriser que je mange correctement et que je me repose suffisamment.

Il faut noter que contrairement aux femmes, les hommes mentionnent assez peu l’incompatibilité entre les nouvelles tâches quotidiennes et le travail d’enseignement/recherche. Il apparaît donc que le confinement aggrave encore davantage les inégalités de genre à l’université.

2. Le basculement de l’enseignement à distance représente une charge de travail considérable : il faut repenser les formules et s’adapter à des nouveaux outils informatiques (qui connaissent régulièrement des soucis techniques). Les enseignant·e·s pointent également le nombre important de mails d’étudiants, stressés par la situation actuelle.

Morceaux choisis : “ Enormément de temps passé à apprivoiser les plateformes, en connaître le fonctionnement (visionnage de tutoriels, lecture des nombreux mails explicatifs -trop ? On s’y perd…), nombreux problèmes techniques à résoudre. Enormément de temps à préparer les cours en ligne, réaliser des powerpoints commenté, traitement, mise en ligne des vidéos…. matériel personnel pas toujours adéquat (lenteur de l’ordi), lenteur de la connexion internet (partagée avec les différents membres de la famille, etc.).”; “alors que quand on donne TP de manière présentielle on va au local, on donne son TP, on répond aux questions puis on peut se concentrer sur la recherche, maintenant je sens bien que les emails vont pleuvoir”; “Outre l’augmentation de la charge de travail pour l’organisation des cours à distance, il faut répondre à de très nombreux mails d’étudiants inquiets, dans des situations très compliquées pour leur stage, mémoire, travail de séminaire. Non seulement, nous n’avons pas de réponses adéquates mais cela accentue notre état de stress et d’inquiétude.” “ “L’enseignement à distance nous prend effectivement beaucoup detemps. Il faut aussi rassurer les étudiant.e.s et trouver des solutions alternatives.”

Certains enseignant·e·s s’inquiètent de la qualité de l’apprentissage offert et mentionnent des décrochages de la part des étudiant·e·s, perdu·e·s par ces nouveaux dispositifs.

Morceaux choisis : “Outre le fait que certains ne soient pas dans de bonnes conditions pour exploiter au mieux tous ces nouveaux outils, certains sont complétement démunis. Ceux qui sont à jour dans leurs cours sont peu nombreux, et ceux qui avaient prévu de tout laisser tomber jusqu’au blocus, ben on ne les entend tout simplement plus… Ils pataugent entre les outils, et ils ne nous contactent pas pour demander de l’aide, donc ils abandonnent.” ; “merci pour le super discours des autorités qui nous félicitent pour notre engagement et notre dévouement mais j’ai l’impression qu’on fait vraiment semblant de continuer parce que les étudiants, on les a perdu…” ; “Je suis inquiète pour mes étudiants, dont certains risquent de disparaître « dans la nature ».; “ je m’inquiète du décrochage surtout parmi les étudiants de BA1” ; “ Plus d’une semaine après le début du confinement, je reçois encore des mails d’étudiants qui ne sont pas parvenus à ce connecter. Quand je regarde l’activité sur la page de cours, certains ne se connectent que très rarement, voire pas du tout !!”.

L’injonction à réaliser l’ensemble des examens à distance renforce la perspective d’un accroissement des inégalités et d’une surcharge de travail : les problèmes de connexion éprouvées dans les interactions à distance avec les étudiant·e·s préfigurent un nombre important de problèmes de connexion qui auront pour conséquence d’augmenter les charges, pendant et après les examens.

Morceaux choisis : « Les examens sont particulièrement inquiétants car l’examen à distance pour les grands groupes de plusieurs centaines d’étudiant.e.s va demander beaucoup plus de temps de correction. » ; «Je crains fortement qu’un examen à distance pour un si grand auditoire ne pose d’énormes difficultés techniques et renforce encore plus les inégalités entre étudiants. Je crains que cela ne donne lieu à un énorme chaos, que des étudiants ne parviennent pas à se connecter au moment voulu, rencontrent des problèmes techniques pour déposer leurs copies, que l’examen à distance ne génère un grand stress chez les étudiants parce qu’il devra se dérouler selon un timing très limité, avec des manoeuvres techniques à opérer, etc.). Je crains que certains d’entre eux ne soient pas dans des conditions optimales (environnement de travail) pour passer un examen à distance depuis leur lieu de confinement. Dans le pire des scénarios, cela ne risque-t-il pas de donner lieu à de multiples recours de la part d’étudiants et aboutir, in fine, à l’annulation de l’examen ? »

L’enquête menée par les représentant·e·s du corsci Solvay auprès des assistant·e·s de cette faculté montre également des oppositions légitimes aux évaluations en ligne car aggravant les inégalités entre étudiant·e·s et demandant une charge de travail considérable aux responsables des cours. Il est fort probable que ce travail supplémentaire se reportera sur tout le corps enseignant et scientifique mais en particulier sur les assistant·e·s. Ainsi l’enquête pointe comme aspects problématiques :

« – la fraude et, en particulier la fraude liée à l’identité de l’étudiant.e, risque d’être massive. Le mode d’examen et les technologies envisagées (comme Microsoft Teams) permettent en effet très facilement aux étudiants de se faire remplacer ;

– en raison de cette fraude, les inégalités pourraient augmenter. Les étudiant.e.s bien entouré.e.s et/ou disposant de moyens importants pourraient renforcer encore les avantages dont ils disposent en temps normal ;

– les outils nécessaires ne sont pas à la portée de tou.te.s et le service social étudiant ne pourra probablement pas résoudre tous les problèmes : les demandes risquent d’être trop nombreuses et avoir un ordinateur n’assure pas d’avoir une connexion efficace et un environnement calme. Et cela, sans parler des problèmes liés à la santé (mentale) de soi-même et de ses proches ;

– enfin, la surcharge de travail attendue serait significative pour les enseignant.e.s dans un contexte déjà très difficile : prise en charge des nouveaux outils, organisation d’examens blancs et session supplémentaire pour répondre aux problèmes qui se poseront inévitablement. 

Dans sa fonction première, l’évaluation a pour objectif de déterminer si la matière a bien été acquise par l’étudiant.e afin, in fine, de pouvoir faire la différence entre les étudiant.e.s ayant suffisamment ou non assimilé la matière. Cette fonction est généralement mise à mal par la possibilité de tricher, que nous tentons de limiter au maximum habituellement. Or, il semble qu’il soit encore plus difficile d’assurer ce contrôle avec l’évaluation en ligne.
Une deuxième fonction, qui découle de cette première fonction, est l’équité dans l’évaluation, tant du côté des enseignant.e.s qui tentent de faire preuve d’objectivité que pour les étudiant.e.s, en maximisant l’égalité des chances. Les éléments repris plus haut montrent que cette équité pourrait être beaucoup moins bien assurée qu’en temps normal.

Il nous semble que la situation actuelle ne nous permet plus de remplir ces deux fonctions simultanément. Soit nous rendons la possibilité de tricher plus coûteuse et nous augmentons les inégalités, soit nous relâchons les mécanismes de contrôle pour s’assurer que chaque étudiant.e puisse être en mesure de répondre aux attentes de l’évaluation et nous ne nous donnons plus les moyens d’évaluer l’acquisition de la matière. »

3. Les témoignages pointent également les problèmes de communication en interne, et une certaine pression à la performance. Les enseignant·e·s et chercheur·e·s sont perdu·e·s face aux multiples messages (parfois contradictoires) des autorités et se sentent peu soutenu·e·s par celles-ci en cette période difficile, voire suspecté·e·s de ne pas travailler assez.

Morceaux choisis : “Ce qui tue aujourd’hui les élèves et les enseignants, c’est la multitude d’informations qui sont envoyées par tous les étages hiérarchiques et qui sont parfois contradictoires.” ; “je ressens une pression TERRIBLE, le sentiment d’être constamment suspectée de profiter du confinement pour ne rien faire. Le tableau (…) qu’il nous a été demandé de compléter en précisant quels supports nous avions mis à disposition des étudiants peut aussi être vu comme un moyen de contrôle de ce que nous faisons. Quid de la confiance ? Nous sommes a priori coupables d’être des tire-au-flanc ! Vu mon investissement constant, je trouve cette attitude insupportable !” ; “aucunes de nos difficultés n’a été prise en considération, même pas une réponse ni un encouragement. Notre hiérarchie semble ne rien vouloir entendre.”

4. La recherche est également fortement impactée. Du côté des enseignant·e·s et assistant·e·s, elle est souvent mise de côté vu les situations décrites plus haut.

Morceaux choisis : “Concernant la recherche, là j’avoue que je n’ose même pas y penser. L’urgence est d’assurer les cours et de ne pas abandonner les étudiants, y compris dans l’encadrement des mémoires et des thèses.” ; “Le travail de thèse, par contre, n’est pas possible. Il ne reste simplement pas du temps.”

Pour ceux qui peuvent encore y consacrer du temps, elle est rendue difficile par l’impossibilité de se rendre en laboratoire, de réaliser un terrain ou d’accéder aux ressources de la bibliothèque. Il est déjà certain que beaucoup de recherches (dont thèses) ne pourront respecter les échéances prévues.

Morceaux choisis : “être privés des ressources documentaires est une difficulté supplémentaire et particulièrement handicapante. (…) Les missions sur le terrain sont également bouleversées et reportées à une date qui n’est pas encore définie. Par conséquent, un retard dans la remise des divers travaux (de la thèse, en l’occurrence) me parait, dans ces conditions, inévitable.” ; “je suis supposée terminer ma thèse pour une date précise, au-delà de laquelle je n’aurai plus de financement. Cette situation, pendant laquelle mon travail avance beaucoup plus lentement que d’habitude, me met en difficulté par rapport à l’échéance de mon financement et me pénalise en comparaison avec d’autres doctorants qui n’auraient pas des personnes à charge.”

5. Ces situations génèrent un mal-être parmi les corps scientifiques et académiques : stress et épuisement résultant de cette surcharge de travail, des incertitudes et du manque d’empathie et de réalisme des autorités. Le mot “stress” revient à de nombreuses reprises dans les témoignages reçus.

Morceaux choisis : “une certaine peur de ce virus empêche de se concentrer sur la recherche, dans mon domaine en tous cas car ce n’est pas un domaine de recherche vital” ; “La fatigue s’installe, ceci nuit à mon équilibre physique et mental.” ; “le stress de cette première semaine fut énorme pour moi (quasi burn-out)”.